Une approche sensorielle et expérimentale du son
partie II

Sons forts, sons faibles: intensité et nuances

Alain Boudet

Dr en Sciences Physiques

Télécharger les 3 articles de cette série
en version prête à l'impression
sur Academia

Résumé: Cet article est le deuxième de la série consacrée à la compréhension des caractéristiques physiques du son. Par l'expérience sensorielle, à travers des exemples familiers et grâce à des fichiers sonores inclus, nous découvrons les qualités physiques et musicales des sons. Dans cette partie, nous faisons connaissance avec la notion de volume ou force du son, ainsi que ses modulations.

Partie I: Sons graves, sons aigus: hauteur et fréquence
pucePartie II: Sons forts, sons faibles: intensité et nuances
Partie III: Couleurs sonores: timbre et harmoniques

Contenu de la partie II


L'article qui suit est une invitation à une écoute affinée afin d'apprendre à connaître les qualités du son par l'expérience sensorielle. Nous allons décrire la qualité d'intensité avec l'approche de l'être sensible que nous sommes tous, complétée par celles du physicien, de l'acousticien et du musicien.

Le physicien est bien placé pour décrire les caractéristiques du son. Mais détient-il la vérité? L'acousticien a un autre point de vue, qui tient compte de la physiologie et de la psychologie de l'auditeur, tandis que le musicien est guidé par sa sensibilité et influencé par la théorie de la musique occidentale. Ce sont toutes des vérités, qui répondent à des interrogations différentes, s'adressent à des plans différents de la personne humaine. Nous nous aiderons de certains appareillages et logiciels du physicien et de l'acousticien destinés à préciser et illustrer certaines notions.

Puissance et volume

La comparaison de sons de même hauteur nous livre une deuxième caractéristique, leur force. Vous en avez tous l'expérience. Telle personne parle avec une petite voix faible, à peine audible, tandis qu'une autre se fait entendre avec une voix trop forte, presque dérangeante. Cette qualité de force ou de puissance du son est nommée intensité par les physiciens. L'intensité du son est réglée par le bouton "volume" de notre chaîne hi-fi, autre façon d'indiquer sa puissance.

Exercice: Écoutez la clarinette dans l'exemple sonore ci-dessous. De la même façon, émettez avec votre voix un son faible qui devient fort et redevient faible.

Pour écouter l'extrait sonore
Écoutez un crescendo et un decrescendo

Vous pouvez sentir dans votre corps que vous devez mettre plus de force dans le son fort. Cette caractéristique des sons est donc tout à fait perceptible par nos sens, dans les muscles de notre poitrine et de notre ventre, et pas seulement par l'oreille. Elle est reliée à l'énergie mise en œuvre pour produire le son. Le son vibre dans l'air et vient stimuler le tympan. Pour les physiciens, sa puissance peut être exprimée avec des unités liées à l'énergie tel que le watt par mètre carré.

Notre langage est d'ailleurs un peu confus à ce sujet, puisqu'on dira "parle tout bas s'il te plait". Le "bas" dont il est question ne concerne pas la hauteur du son, mais le volume du son. Cette association du haut et du fort (cf "haute tension") ne doit pas se transformer en équivalence. Il est vrai que la distinction de ces deux qualités d'un son n'est pas acquise d'emblée. Prendre conscience qu'un son est plus fort ou plus haut qu'un autre est un processus de conscience qui nécessite un apprentissage. La hauteur d'un son est une caractéristique différente de son intensité. On peut avoir des sons graves qui sont faibles et d'autres qui sont forts et on peut avoir des sons aigus faibles et d'autres forts.

crescendo - decrescendo

Figure 1. Son croissant et décroissant

La figure 1 montre une représentation possible de la puissance du son. La ligne horizontale figure le déroulement du temps de gauche à droite. La ligne verticale figure le volume: un son fort est représenté par un élargissement de part et d'autre de la ligne médiane du zéro. Un son nul se réduit à la ligne médiane (voir des explications plus détaillées dans l'article le phénomène sonore).

L'oreille et les décibels

L'oreille n'entend rien en-dessous d'un certain seuil d'intensité (seuil d'audibilité). Elle a également une limite supérieure: certains sons sont tellement forts qu'ils sont assourdissants et douloureux.

Les seuils d'audibilité et de douleur varient en fonction de la fréquence du son. On peut donc tracer un audiogramme pour les représenter, comme sur la figure 2. Les audiogrammes varient avec les personnes, avec l'état de santé et avec l'âge. Et aussi avec l'attitude mentale de l'auditeur (concentration, refus d'écouter,...)!

Seuils d'audibilité et de douleur

Figure 2. Courbe typique d'audibilité. En abscisse (ligne horizontale), la hauteur du son exprimée par le numéro de l'octave ou la fréquence. En ordonnée (ligne verticale), l'énergie du son exprimée en pression de l'air (d'après Eurin et Guimiot, Cours de physique, Hachette, 1958).

Pour tenir compte des particularités physiologiques et nerveuses du système auditif, les acousticiens évaluent l'intensité sonore en décibels. Cette unité  prend en compte un seuil moyen d'audibilité et certaines lois physiologiques de l'oreille. Celles-ci sont d'ailleurs diversement appréciées par les physiologistes, ce qui donne lieu à plusieurs définitions de "décibels pondérés".

Nuances

Le musicien exprime l'échelle de force des sons ou nuances du plus faible au plus fort par les termes italiens pianissimo (pp), piano (p), mezzoforte (mf), forte (f), fortissimo (ff), et le passage de l'un à l'autre par les termes crescendo et decrescendo (ou diminuando)

La perception du volume varie selon le contexte

Ce n'est pas parce que le physicien mesure avec précision l'énergie du son et ses modulations qu'il faut s'imaginer qu'on peut définir la perception de sa force en mesurant son énergie. Pour un signal d'une même force, cette perception diffère avec la hauteur, comme on le voit sur la figure 2.

Elle varie également avec le contexte. Des esprits rationalistes bien intentionnés ont tenté de codifier les nuances pp, ff, etc. en leur attribuant des valeurs précises en décibels. Mais ils ont échoué car l'exécutant, guidé par sa sensibilité, ne joue pas un "piano" de la même façon selon le passage où il se trouve. "L'oreille est un système adaptatif, où la chaîne des osselets joue le rôle d'un potentiomètre d'intensité réglable... Si un son est trop intense, l'auditeur, à son insu, généralement "baisse le niveau" de quelques 20 ou 30 décibels en relâchant les muscles de ses osselets. Si un son est trop faible et qu'il veut l'entendre, il "tendra" l'oreille, c'est-à-dire réglera le système ossiculaire de façon optimale. Dès lors les conclusions sont évidentes: le niveau perçu, "subjectif", sera fonction du niveau du contexte musical immédiat (de l'intensité des sons qui précèdent celui qu'on écoute." (E. Leipp, Laboratoire d'Acoustique Musicale, Université de Paris VI, bulletin du GAM, décembre 1978)

Les nuances n'ont pas de valeur absolue. C'est une appréciation subjective, et c'est ce qui est recherché en musique tant il est vrai que nous avons besoin de plaisirs subjectifs.

En savoir plus

Dossier Musique et Sons dans ce site

Autres articles en libre accès sur Internet

3 Novembre 2005