Les notes de musique
doivent-elles être normalisées par un diapason
(LA 440, LA 432 ou autre)?

Les aléas historiques de la fréquence du LA
Troisième partie

Alain Boudet

Dr en Sciences Physiques

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Résumé: 1. Depuis 1953, une norme internationale recommande d'accorder les instruments de musique à la fréquence de 440 hertz pour le LA. C'est une volonté récente, car dans le passé, on ne s'intéressait qu'aux intervalles entre les notes et on ne savait pas mesurer leur fréquence.
2. Fixer un diapason à 1 Hz près a un sens purement technique car musicalement, les notes émises par les instruments sont fluctuantes et varient avec la température et le souffle. Lorsque vous entonnez une chanson, vous ne vous souciez pas du diapason. La nécessité d'un diapason commun est apparue pour des motifs pratiques et commerciaux, afin de faciliter la musique professionnelle d'ensemble et la fabrication des instruments.
3. Au moins jusqu'au 18e siècle, le diapason des instruments variait d'un endroit à l'autre, d'une époque à l'autre et d'un instrument à l'autre. Puis des tentatives de normalisation ont été effectuées, mais le choix des valeurs retenues a suscité des controverses, qui ne se sont pas éteintes avec la normalisation internationale de 1953.
4. Le choix d'un diapason plus haut ou plus bas peut affecter le rendu sonore et la performance vocale des chanteurs lorsqu'il s'agit d'interpréter des œuvres écrites dans le passé. L'essentiel est l'impact émotionnel et physique de la musique sur l'auditeur. Il résulte de paramètres complexes qui dépassent de loin la question du diapason.

Contenu de la troisième partie

Contenu de la quatrième partie

Contenu de la première partie

Contenu de la deuxième partie


L'accordage des instruments anciens

Étant donné que nous sommes capables de mesurer des fréquences seulement depuis quelques 200 ans, comment les musicologues peuvent-ils avoir accès aux valeurs des diapasons anciens? Par quel moyen connaissons-nous la fréquence à laquelle un facteur accordait son instrument au moment de sa fabrication? Comment ces diapasons variaient-ils selon les lieux, les époques et les instruments? C'est ce que nous allons découvrir.

Les méthodes de relevé des diapasons anciens

Deux types de sources peuvent nous donner des indications plus ou moins précises sur la valeur des diapasons de facture instrumentale.

L'une est l'étude d'instruments d'époques qui ont survécu (orgues, instruments à vent et à cordes). Il est possible de les analyser avec nos appareils électroniques modernes et de mesurer à quelle fréquence ils sonnaient.

Il faut toutefois garder à l'esprit que nos critères de mesure correspondent à des questionnements actuels qui n'habitaient pas les esprits musicaux de l'époque. Alors que le choix des tempéraments des échelles musicales a suscité de nombreux débats et controverses (voir article Intonation juste), il n'en est rien en ce qui concerne la disparité des diapasons. Aussi mesurer la valeur du diapason d'un instrument ancien nous apprend seulement le choix qu'en a fait son fabricant.

Nos appareils de mesure électroniques nous fournissent des résultats en fréquences précises à 1 Hz près. Cette précision n'a qu'un sens tout relatif. La mesure est faite dans des conditions expérimentales données de température et d'hygrométrie qui ne correspondent pas forcément aux conditions anciennes. En réalité la fréquence peut fluctuer plus ou moins largement autour de cette valeur, selon la façon de jouer de l'instrument ou selon la température.

C'est pourquoi le nombre relevé est une moyenne. Si l'on relève une valeur de 440 Hz, on peut juste en déduire que la musique était jouée entre 430 Hz et 450 Hz selon qu'il faisait plus ou moins froid.

Une deuxième façon de recueillir des renseignements sur le diapason des instruments anciens est de se reporter aux écrits, récits, ou traités musicaux des auteurs anciens et des éditeurs, tels ceux de Marin Mersenne (voir article Histoire de la notion de fréquence sonore) et d'autres: Thoinot Arbeau (1519 - 1595), Michael Praetorius (1571 - 1621).

À partir de la description d'un instrument et des planches de dessins, par exemple dans L'Harmonie Universelle de Mersenne, on peut calculer son diapason probable en relevant ses dimensions. Pour les orgues, on peut calculer la fréquence d'une note émise par un tuyau en connaissant sa longueur. Son diamètre et la pression de l'air qui le traverse influent aussi mais relativement peu.

Dans les traités et rapports, il est aussi question des différences de diapason entre les instruments et entre différents types de musiques. Ces différences ne sont évidemment pas notées en fréquence, mais en intervalles de demi-tons.

Quelques auteurs ont associé ces deux aspects (les descriptions anciennes et les mesures contemporaines) dans leurs recherches. Il en est résulté un extraordinaire tableau de détails, que d'autres ont enrichi, précisé ou corrigé par la suite. L'un d'eux est Alexander Ellis (On The History Of Musical Pitch, 1877), qui a fourni de nombreuses données précises de diapason. Malheureusement, il n'indique pas les conditions de température dans lesquelles les mesures ont été faites, ce qui les rend approximatives.

Les travaux pionniers de Émile Leipp dans les années 70 (voir deuxième partie) ont apporté des compréhensions importantes sur l'acoustique musicale dans le cadre du GAM (Groupe d'Acoustique Musicale).

Plus récemment Bruce Haynes (A history of performing pitch - The story of A, 2002) a effectué un travail remarquable très minutieux sur l'évolution du diapason par époque, région et instrument.

Ces auteurs ont montré que le diapason variait à la fois selon le type d'instrument, selon les lieux, et selon les époques.

Ainsi Leipp, en analysant les écrits de Praetorius, a estimé qu'à son époque le ton moyen de base était de 435 Hz environ, avec de nombreux autres tons différents qui s'étalaient sur une amplitude de 327 à 488, en tenant compte des écarts probables de température (conférence du GAM n°40, 1970).

Sur la période allant du 16e au 19e siècle, le diapason du LA3 s'étageait entre 330 et 560 Hz, ce qui constitue une grande amplitude de 5 tons environ.

Un ton pour l'église, un autre pour l'orchestre, un autre pour l'opéra

Au 16e siècle et jusqu'au 19e, plusieurs diapasons se côtoyaient dans même lieu au même moment. Chacun était employé pour un genre de musique approprié ou par un instrument approprié.

L'un était destiné à la musique vocale et adapté aux chœurs. Comme cette musique était pratiquée à l'église, ce diapason était nommé en France le ton d'église ou plus souvent ton de chapelle (en anglais church pitch ou Quire pitch, en allemand Chorton, en italien tuono chorista).

Le ton de chapelle variait dans une marge importante selon les endroits et les époques. Il était assez bas, en moyenne 392 Hz, un ton plus bas que le ton actuel, que nous notons LA-2.

Notations: Si nous notons par LA le diapason actuel de 440 Hz, suivant la notation de Haynes qui procède par demi-tons, nous noterons LA-2 un diapason situé un ton plus bas, soit deux demi-tons. La notation par demi-tons est suffisamment souple pour ne pas fixer une fréquence précise qui n'existait pas.

Les orchestres adoptaient un ton autre que le ton de chapelle. C'était le ton de chambre ou ton d'écurie (en anglais chamber pitch, en allemand Kammerton).

Du temps de Praetorius (début 17e siècle) le ton de chambre était un ton plus haut que celui de chapelle (chœur). En France, au 17e siècle, il était 1,5 ton plus haut. Au 18e siècle, en Allemagne, c'était l'inverse, le Kammerton (chambre) est descendu aux alentours de 415 Hz tandis que le Chorton (orgues et cuivres) est monté vers 465 Hz.

Les opéras avaient leur ton propre, le ton d'opéra (opera pitch). Il était parfois le même que le ton de chambre (orchestral), parfois plus haut, parfois plus bas.

Le philosophe et musicien genevois Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778) écrit dans son Dictionnaire de musique au mot TON: Dans les églises, il y a le ton du chœur pour le plain-chant. Il y a pour la musique le ton de chapelle et le ton d'opéra. Ce dernier n'a rien de fixe; mais en France, il est ordinairement plus bas que l'autre.

Dans son ouvrage Nouveau manuel complet du facteur d'orgues: ou traité théorique et pratique de l'art de construire les orgues, 1849, p.49, Monsieur Marie-Pierre Hamel (1786-1879) écrit:

Dans le XVIIe siècle, on accordait les orgues, en Allemagne, au ton de chambre, qui était celui des orchestres de ce temps, ou au ton de chœur, qui était d'un ton plus élevé. Ce dernier exigeant des tuyaux moins longs, était le plus fréquemment employé à cause de l'économie qu'il procurait. Cependant comme la musique d'église se trouve quelquefois accompagnée par des instruments d'orchestre, qui ne peuvent point facilement transposer ni changer leur diapason, on mettait dans les orgues des jeux accordés au ton d'orchestre et devant leur nom on mettait celui de Kammer: ainsi Kammer flœte voulait dire flûte au ton de chambre ou d'orchestre. Il est évident que ces jeux ne pouvaient point se mélanger avec ceux qui étaient accordés au ton de chœur, et qu'ils formaient réellement un orgue à part.

En France, le ton d'orchestre, quoiqu'il n'ait rien de bien fixe, est celui dont le la est produit par 864 vibrations dans une seconde [432 Hz] (il est le même à Francfort-sur-le-Mein), et le ton de chapelle est de trois grands quarts de ton ou près d'un ton plus bas. Ainsi le ton de chœur chez les Allemands est le plus élevé; le ton de chapelle, chez nous, est de près de deux tons plus bas, et le diapason d'orchestre tient le milieu.

Maintenant c'est à ce dernier ton que l'on accorde tous les orgues neufs en France et en Allemagne.

Mais comme il est encore beaucoup d'orgues au ton de chapelle, on a imaginé un moyen pour les jouer à l'unisson des instruments d'orchestre sans être obligé de transposer, et cela au moyen d'un clavier qui peut se mouvoir à droite ou à gauche, selon qu'on veut hausser ou baisser le ton. Ce mécanisme, quoiqu'il soit souvent assez difficile de l'adapter à un orgue qui a plusieurs claviers, est cependant plus simple et plus efficace que le moyen qu'on employait en mettant dans l'orgue des jeux au ton de chambre, et d'autres au ton de chœur.

Variations entre instruments

Avoir un ton d'orchestre n'implique pas que les instruments étaient tous fabriqués à ce diapason, mais seulement qu'ils jouaient dans ce ton. En effet, ils pouvaient être accordés par fabrication à 1 ton, 1,5 tons, ou une quarte de différence avec le ton d'orchestre. Pour jouer dans le ton d'orchestre, ils transposaient.

Selon Haynes, les instruments du 17e siècle étaient répartis en trois catégories selon la hauteur de leur diapason. Il y avait ceux dont les diapasons étaient "naturels" (coristi en italien), d'autres à un diapason bas et la troisième catégorie à diapason haut.

Les violons, les flutes à bec, les cromornes étaient dans la catégorie haute, tandis que les flutes traversières de la Renaissance étaient dans la basse (environ 405).

Les cornets se trouvaient dans la catégorie haute. Partout en Europe, ils venaient principalement des facteurs de Venise, ce qui a conduit à une certaine uniformisation du diapason de cornet. Ce ton faisait référence sous le nom de ton de cornet ou Cornet-ton, et s'est identifié d'abord au ton de chambre, puis plus tard au ton de chœur. Il est estimé à environ 471 Hz. On pouvait le changer de 462 à 481 environ en ajoutant ou enlevant des bagues intermédiaires entre le corps et l'embouchure. D'autres cornets, moins nombreux, étaient fabriqués à 443 et à 484.

Selon Praetorius, vers 1600, les chalémies (hautbois anciens) sonnaient un ton plus haut que les cornets et les sacqueboutes (trombones anciens) soit environ 518, alors que les cornemuses sonnaient un ton plus bas que les cornets.

Au 18e siècle, les trompettes et autres instruments en cuivre sont généralement accordés un ton plus haut que les autres instruments.

Les clavecins et les pianofortes, ancêtres du piano, étaient accordés de façon différente selon le facteur. Dans les périodes baroque et classique, ils étaient accordés à un diapason bas, aux alentours de 420 à 430.

Les orgues ont souvent été modifiées, dégradées, réparées, restaurées, de sorte que leur diapason a changé. On en relève une grande variété.
En Allemagne, au Moyen-Âge, le diapason de l'orgue primitif était de 567; 507 à Halberstad en 1361 et 506 en 1495; 377 à Heidelberg en 1511; 481 à Hambourg en 1543, 489 en 1688 et 407 en 1762. Au 18e siècle, ils suivent le ton de cornet.
En France, 390 à l'abbaye de Valloires en 1750 et 395 à Versailles en 1789.
En Angleterre, 474 à Durham en 1683, à Londres la même valeur en 1708 et 444 en 1877.
En Italie, selon Antonio Barcotto (1652), les orgues de Venise sont parmi les plus hauts utilisés dans cet État, au ton de cornet. Les orgues de chambre à Venise, Padoue, et autres cités, sont accordés un ton plus bas, celui de corristi.

Évolution selon les époques

En un même lieu, le diapason a beaucoup changé au cours des temps.

Avant 1670, le ton de chapelle en Allemagne (Chorton) et en Italie (chorista) est proche du LA-1, tandis que le ton d'orchestre (Cammerton ou mezzo punto) est proche du LA+1, soit environ 464 Hz.

Vers 1670 et jusqu'en 1700, le style musical passe de la Renaissance à la musique baroque. L'orchestre se détache de son rôle d'accompagnant de musique vocale. Son diapason n'est plus lié aux contraintes de la voix et prend sa liberté. Les instruments sont modifiés.

En Allemagne et en Italie du Nord, chorton et cammerton sont inversés; le chorton devient donc le plus haut à LA+1, équivalent du cornet-ton. En France au contraire, c'est le ton de chambre qui est à cette hauteur, tandis que le ton d'opéra est à LA-2.

Après 1700, les déplacements et les échanges contribuent à faire évoluer chacun des tons vers une plage consensuelle. En Europe, la marge est de 1,5 tons et va de deux demi-tons en-dessous de notre LA actuel (LA-2) jusqu'à un demi-ton au-dessus (LA+1). En Allemagne, le Cammerton ordinaire se double d'un Cammerton bas.

Après 1730, les consensus se groupent autour de 430 Hz. Le ton a tendance à monter dans certaines villes. À Vienne en 1780, il est proche de 440, comme notre LA actuel (Ton de Vienne, Wienerton). Les trombones accordés plus haut à LA+1 sont modifiés et convertis en instruments transpositeurs.

Le 19e siècle voit le développement de la musique romantique, qui s'accompagne de la montée du diapason. À l'Opéra de Paris, le diapason passe de 405 en 1704 à 440 en 1830 et 448 en 1858. En Angleterre, le London Philarmonic Society, avait un diapason de 424 au moment de sa création en 1813. Il passe à 433 en 1820, 453 à partir de 1846. À Rome, l'Accademia di Santa Cecilia adopte un LA de 450. Aux États-Unis, en 1875, de nombreuses institutions sont accordées à 461.

On constate la même tendance sur les pianos: à Paris, 425 sur un piano de 1829, 446 en 1859 sur un piano Pleyel, et 455 chez Erard en 1879. En Angleterre, 446 chez Broadwoods de 1849 à 1854, montant à 455 en 1874; 450 chez Collard en 1877; 456 chez Chappell en 1877. C'était 455 chez Steinway en 1879, alors qu'au même moment à New-York, Steinway utilisait 458. Également aux États-Unis, à Boston on avait 435 chez Chickering.

Cette tendance à la montée n'impliquait pas qu'elle soit générale. Divers diapasons se côtoyaient et la pratique d'instruments transpositeurs était courante.

tableau des diapason en Europe

Diapasons utilisés en Europe entre 1699 et 1858. Les valeurs sont exprimées en "vibrations simples", soit le double de leur valeur en hertz.
Extrait de L'Année Musicale ou la Revue Annuelle des théâtres lyriques et des concerts des publications littéraires relatives à la musique, P. Scudo, 1859.
Cité par Marie-Brigitte Duvernoy, Le diapason, site Piano & Sons

Plus haut?

La montée du diapason inquiétait les facteurs d'instruments et les instrumentistes, car les anciens instruments ne convenaient plus. Il fallait en fabriquer et en acheter de nouveaux, et cela revenait cher.

Mais pourquoi certains compositeurs et interprètes préféraient-ils des diapasons plus haut?

À l'époque romantique, les compositeurs et interprètes cherchent à exprimer leur état d'âme personnel, en opposition par exemple au chant grégorien. La musique s'achemine vers la mise en valeur de la virtuosité de solistes et des effets émotionnels et sensoriels (voir article L'évolution de la musique du Moyen-Âge à nos jours).

Aussi avaient-ils tendance à vouloir une plus grande brillance sonore. En s'accordant légèrement au-dessus de l'accompagnateur, les solistes ressortent mieux, et se donnent une impression de brillance qui les flattent. Mais l'orchestre à tendance à les rattraper, d'où un enchainement de montée.

Par rapport au temps de Mozart où les représentations avaient lieu devant un petit nombre de personnes, les concerts du 19e siècle sont donnés dans de grandes salles pour un public plus nombreux. Les orchestres sont plus grands et jouent plus fort. Cela renforçait le besoin d'un volume sonore plus éclatant, même pour les musiques antérieures du 18e siècle. Hausser le diapason était un moyen de l'obtenir. Ainsi, le compositeur italien Giovacchino Rossini (1792 - 1868) était insatisfait du ton de l'Opéra de Paris qu'il trouvait trop bas.

L'évolution technique des instruments contribuait à satisfaire ce besoin. Les cordes des instruments en boyau sont remplacées par de l'acier et supportent des tensions plus grandes. Des soupapes sont ajoutées aux cuivres.

Toutefois, monter le diapason n'est pas forcément favorable à la sonorité. À la fin du 17e siècle, le compositeur allemand Georg Muffat (1653 - 1704) écrit: Le diapason sur lequel les Français règlent ordinairement leurs instruments est plus bas d'un ton entier que l'allemand (appelé ton de cornet), et même, dans les opéras, un ton et demi plus bas. Ils trouvent que le ton allemand est trop haut, trop criard, trop forcé." (cité par B. Haynes)

Vers un diapason international unique

Dès le 18e siècle, des musiciens proposaient de choisir un diapason commun pour tous afin de faciliter les rencontres musicales. Avec la montée du diapason, d'autres voix se joignirent pour réclamer de le maintenir à un niveau bas.

Mais si l'on est bien d'accord pour fixer un diapason, reste la question de savoir à quelle valeur. L'histoire est pleine de tentatives et de rebonds dus aux envies et revendications des uns et des autres. Plus haut? Plus bas? Scientifiquement?

Tentatives de normalisation

1834, Allemagne, congrès de Stuttgart, 440 Hz

En 1834, le congrès des Chercheurs naturalistes et Médecins allemands réunis à Stuttgart propose de normaliser le LA à 440 Hz. Ce choix vient des recommandations de Johann Scheibler qui mesura le ton des différents diapasons d'Europe avec son tonomètre (voir article Histoire de la notion de fréquence sonore), et reconnut que le ton moyen était d'environ 880 "vibrations simples" par seconde (440 Hz). Après avoir mené plusieurs expériences avec des diapasons variés utilisés à Paris, Berlin et Vienne, Scheibler décida de choisir son LA à 440 comme milieu des extrêmes entre lesquels le diapason des pianos viennois montent et descendent à cause du changement de température. Le diapason des pianos fut déterminé par un monocorde, et le diapason 440 cps fut vérifié par son tonomètre. (Trevor Pinch, Karin Bijsterveld, The Oxford Handbook of Sound Studies, 2012)

Note: À cette époque, on parlait de vibrations doubles et non de cycle, une vibration double étant composée de 2 vibrations simples. Si nous revenons à l'image du balancier, une vibration simple est l'aller simple, une vibration double est l'aller et retour. Aussi les valeurs indiquées dans les rapports de Scheibler et des autres savants et enquêteurs sont-elles le double de leur valeur en hertz.

1858-59, France, arrêté ministériel, 435 Hz

Le gouvernement français réunit une commission chargée d'examiner la possibilité de fixer un diapason pour prévenir la montée du diapason des dernières années, surtout dans l'opéra (voir La Maîtrise, Joseph d'Ortigue, Question de diapason, 1858). Menée par deux physiciens (Jules Antoine Lissajous et César Despretz), elle comprenait aussi des musiciens, dont Hector Berlioz et Gioachino Rossini).

La commission mena une enquête internationale pour faire l'état des valeurs des diapasons. Elle révéla un écart de plus d'un ton entre les LA, échelonnés de 434 (Londres) à 455,5 (Bruxelles). En France, de 437 au Conservatoire de Toulouse à 452 à Lille.

tableau des diapasons

Diapasons utilisés en Europe en 1858. Les valeurs sont exprimées en "vibrations simples", soit le double de leur valeur en hertz.
Extrait de L'Année Musicale ou la Revue Annuelle des théâtres lyriques et des concerts des publications littéraires relatives à la musique, P. Scudo, 1859. Cité par Marie-Brigitte Duvernoy, Le diapason, site Piano & Sons

Sur proposition de Lissajous et des résultats de la commission, un arrêté fut promulgué par le gouvernement en 1859, fixant le LA à 435 Hz, pour tous les établissements musicaux d'état. Il est connu sous le nom de "diapason normal".

C'est la première normalisation à l'échelle d'une nation.

Réactions en Europe

Des institutions étrangères suivent le mouvement impulsé par la France et adoptent le "diapason normal". En Italie, c'est le cas de l'Instituto Musicale di Firenze (Institut musical de Florence) et du Teatro San Carlo (Théâtre Saint-Charles) de Naples.

En Grande-Bretagne, la Philharmonic Society l'adopte d'abord, puis le modifie légèrement en 1896 pour un diapason de 439 (New Philharmonic Pitch), soit disant pour tenir compte des températures plus froides en Angleterre. Mais pendant ce temps, subsistait le diapason ancien élevé de 452 Hz, conservé par les ensembles militaires, les orchestres provinciaux, mais aussi par les orgues pour des raisons économiques. En effet, ils avaient déjà été réajustés quelques temps avant à 452 et on ne voulait pas renouveler l'opération. Cette situation double dura plus ou moins jusque vers 1920 et même plus tard pour certains ensembles de cuivres.

Dans ses ouvrages, le musicologue belge Charles Meerens (1831 - 1909) se fait partisan d'un LA de 432 Hz, pour des raisons mathématiques (voir section suivante), et se désole de l'adoption de 435. Analysant son ouvrage Le Diapason et la notation musicale simplifiés (1873), le journaliste Arthur Heulhard écrit (La chronique musicale): D'après [Charles Meerens], la commission réunie à Paris en 1858 pour déterminer un étalon sonore universel, loin d'avoir atteint son but, n'a fait qu'augmenter la discorde dans le camp des musiciens. Le diapason ancien et le diapason nouveau sont en querelle perpétuelle: telle société musicale s'en tient à l'ancien diapason parce qu'elle ne croit pas à l'orthodoxie du moderne; tel virtuose, accompagné par un orchestre, est obligé de déposer au dernier moment l'instrument qui lui est familier pour un instrument d'emprunt; tel chanteur perd la tramontane devant un la qui lui paraît excentrique; tel facteur de piano se voit retourner l'envoi qu'il avait fait la veille: autre ville, autre diapason.

Malgré la recommandation de 435 Hz, l'ascension du diapason se poursuivit, mais plus lentement. En 1917, la fédération américaine des musiciens adopte 440 Hz. En 1938, des relevés indiquent une moyenne de 440 à 442 à Paris, 445 aux États-Unis, 451 en Angleterre, 460,8 en Autriche, 467,5 à Prague.

Les diapasons dits "scientifiques": DO 256 et LA 432

Au 19e siècle, certains veulent convaincre les autorités qu'il vaut mieux un diapason de 432 plutôt que 435 ou 440. C'est le cas du musicologue Charles Meerens et du compositeur italien Giuseppe Verdi (1813 - 1901). L'argument avancé est que ce chiffre est scientifique. Qu'est-ce que cela signifie?

Le diapason dit scientifique qui a été prôné à l'origine est le DO3 de 256 Hz.

Déjà vers 1700, le physicien Joseph Sauveur proposa ce DO de 256 Hz comme le "ton philosophique" (c'est-à-dire scientifique). Ce nombre lui plaisait car il contient exactement 8 octaves (c'est 2 à la puissance 8). Autrement dit le DO2 vaut 128, le DO1 64, le DO-1 32, etc. jusqu'au DO-6 qui vaut exactement 1. C'est ce chiffre 1 qui fascinait Sauveur, même si le son de 1 Hz est inaudible.

Plus tard, le physicien Ernst Chladni se référait aussi à ce DO 256 comme un "diapason scientifique" dans ses œuvres sur la théorie acoustique.

Charles Meerens était partisan du DO 256, toujours pour la beauté du chiffre 1 (Le diapason et la notation musicale simplifiés, 1873; Mémoire sur le diapason, 1877). Rien de véritablement scientifique donc, mais plutôt une attirance esthétique. Puisque le diapason était défini par le LA et non le DO, Meerens dériva la valeur du LA à partir du DO et défendit ardemment le LA 432. Car, raisonnait-il, si le DO vaut 256, alors on calcule que le LA vaut 432.

Or cela n'est vrai que dans le système pythagoricien de quintes justes  (voir article Ton et intonation juste). Mais le système couramment utilisé est celui du tempérament égal dans lequel la LA dérivé du DO 256 prend la valeur 430,5. Il est de 426,6 dans la gamme "naturelle" de Zarlino. Ce diapason n'est donc scientifique que d'apparence.

En 1881, un congrès de musiciens et de physiciens tenu à Milan en Italie se prononça en faveur d'un LA de 432 Hz, qu'ils préféraient au diapason français de 435 à cause de ces considérations mathématiques prenant appui sur le 1.

D'abord adepte du LA 435, Verdi se fit l'avocat de la valeur 432 en Italie. En 1884, il écrivit au président de la commission du gouvernement italien: Je demande formellement aux orchestres de plusieurs villes d'Italie, entre autres celui de La Scala, d'abaisser leur diapason afin de l'amener à l'unisson du diapason normal français. Si la Commission de Musique instituée par notre gouvernement pense, pour des raisons mathématiques, que les 870 vibrations [LA 435] du diapason français devraient être abaissées à 864 [LA 432], la différence est si petite, presque imperceptible à l'oreille, que je suis très heureux de m'y associer. (Giuseppe Verdi: A=432 only scientific tuning, Marco Fanini, Executive Intelligence Review, 16, 9, 1989)

Un congrès réuni à Vienne en Autriche en novembre 1885 eut à choisir entre le LA italien de 432 et le LA français de 435. Juste avant, dans un article de Gazzetta Musicale de Milan, le journaliste Oscar Berggruen écrivit: La Commission veut faire la proposition du LA français de 435 vibrations, mais il y de nombreux partisans du LA italien de 432 vibrations. La différence n'est pas majeure, mais à mon avis, le LA italien doit être recommandé particulièrement parce qu'il est divisible en octaves [c'est-à-dire divisible par 2 plusieurs fois] pour l'orgue. Deux octaves plus bas, le LA français tombe sur une fraction, 217,5 vibrations, tandis que le LA italien tombe à 216 vibrations. Le LA italien correspond aussi aux lois de la science... (cité dans Giuseppe Verdi: A=432 only scientific tuning, Marco Fanini, Executive Intelligence Review, 16, 9, 1989)

Cette différence de 3 Hz fut l'occasion de joutes politiques intenses. On mit en avant la dépense qu'entrainerait pour les facteurs d'instruments le changement de 435 à 432. Finalement le congrès de Vienne statua pour le LA international à 435.

Au 20e siècle, la revendication pour le LA 432 fut endossée en France par le compositeur Robert Dussaut (1896 - 1969) vers 1950, après que le LA fut fixé à 440 par la commission de Londres de 1939. Sur le site web Solidarité & Progrès (Lorsque le diapason de Verdi donnait le «la», avril 2016), on peut lire:

Henri Busser, membre de l’Académie des beaux-arts, et Joseph Magrou avaient présenté le 19 juin 1950 une communication de Robert Dussaut, intitulée Acoustique musicale – proposition d’un nouveau son fixe: sol3= fréquence 384. D’où La3=432. Après avoir constaté l’abandon du diapason normal à 435 Hz et la hausse adoptée au premier congrès de Londres, en mai 1939, Dussaut remarque:

"Les musiciens français, en général, se plaignent du diapason à 440 p/s, le trouvant exagérément élevé. Avec ce diapason, les œuvres vocales et chorales sont devenues presque impossibles à interpréter dans le ton original. Il faudrait transposer la plupart de ces œuvres (... ). Il apparaît qu’il devient nécessaire de demander l’abaissement du diapason, par un nouveau décret officiel, celui de 1859 étant devenu caduc.
La solution idéale serait que les musiciens et les physiciens eussent la même échelle musicale, c’est-à-dire celle de Sauveur, fixant à l’Ut3 et l’Ut4 les fréquences 256 et 512, Malheureusement, dans la pratique musicale, la note Ut ne peut servir de diapason, parce que les violonistes ne peuvent s’accorder que sur des cordes à vide; or le violon n’a point de corde Ut. Le son fixe ne doit donc être que La, Ré ou Sol, ces trois notes correspondant aux notes des cordes du violon, de l’alto, etc. Depuis longtemps, les musiciens ont adopté La3 comme diapason. Ce choix a été malencontreux, car Ut devient alors très variable: la tierce mineure de La à Ut diffère selon qu’il s’agit du système de Pythagore, du tempérament, ou du système de Zarlino."

Il propose donc de prendre SOL à 384 comme diapason, ce qui permet de ré-obtenir la même valeur de l’UT à 256 (ou 512) «à la fois dans le système de Zarlino et dans celui de Pythagore. (... ) Non seulement Ut serait plus stable, mais le La3 =432 également, puisque le ton 9/8 est le même dans ces deux systèmes.»

Il ajoute :

"Les nombres 384 et 432 ont l’avantage de n’avoir d’autres facteurs premiers que 2 et 3. Ils sont plus logiques et d’un emploi plus pratique que 435 (... ). Le La serait 8 savarts plus bas que le diapason actuel à 440 p/s, soit environ 1/6 de ton. Tel est le diapason demandé par les musiciens."

Cette proposition fut approuvée par les membres de l’Académie des sciences en 1950 qui en firent un vœu adressé au Ministre de l’Éducation Nationale.

1939, le LA 440

En septembre 1938, le comité acoustique de la radio de Berlin demanda à l’Association britannique de normalisation d’organiser un congrès international à Londres en 1939. Il fut organisé par la Fédération internationale des associations nationales de standardisation ou ISA, créée en 1926 (ancêtre de l'Organisation internationale de normalisation).

Il décida de fixer le diapason officiel du LA3 à 440 Hz à une température de 20 °C, alors que le diapason français précédent de 435 Hz était défini pour une température de 15 °C. C'était le diapason déjà utilisé par la radio allemande. Ceux qui s'opposaient à cette hausse du diapason n'avaient pas été invités. La radio britannique BBC diffusa le signal sonore de 440 Hz généré électroniquement à partir d'un cristal piezoélectrique.

La guerre fut déclarée peu après, et cette résolution ne fut pas officiellement confirmée.

Aux États-Unis, la vogue du jazz se développait, et avec elle, le diapason montait à 440, 445 et jusqu'à 470. Aussi, les facteurs d'instruments à vent européens qui voulaient exporter leurs instruments choisissaient ce diapason haut de 440. Ces considérations commerciales ont contribué à renforcer le choix de 440 sur le plan international.

En 1953, la Conférence internationale de Londres de l'ISO (Organisation internationale de normalisation) réaffirma la valeur de 440 Hz comme diapason officiel du LA3. Les musiciens français qui soutenaient le projet du compositeur Robert Dussaut pour un LA 432 ne furent pas invités. La norme du LA 440 a été rééditée en janvier 1975 (ISO 16:19757).

Les applications approximatives de la norme

Aujourd'hui, la norme de 440 est majoritairement adoptée par les instrumentistes. Mais ce n'est qu'une recommandation et elle n'est pas appliquée partout. De nombreux orchestres jouent à 442 Hz ou plus haut.

Les fabricants de flutes, clarinettes, hautbois les fabriquent en général au diapason 442, afin d'anticiper sur les variations dues à la température.

Souvent, les instruments traditionnels conservent leur diapason ancien, adapté à leur fabrication. La grande cornemuse écossaise conserve son LA aigu de 470 à 480 Hz.

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Texte conforme à la nouvelle orthographe française (1990)

8 aout 2016