Les notes de musique
doivent-elles être normalisées par un diapason
(LA 440, LA 432 ou autre)?
Les aléas historiques de la fréquence du LA
quatrième partie
Alain Boudet
Résumé: 1. Depuis 1953, une norme internationale recommande d'accorder les instruments de musique à la fréquence de 440 hertz pour le LA. C'est une volonté récente, car dans le passé, on ne s'intéressait qu'aux intervalles entre les notes et on ne savait pas mesurer leur fréquence.
2. Fixer un diapason à 1 Hz près a un sens purement technique car musicalement, les notes émises par les instruments sont fluctuantes et varient avec la température et le souffle. Lorsque vous entonnez une chanson, vous ne vous souciez pas du diapason. La nécessité d'un diapason commun est apparue pour des motifs pratiques et commerciaux, afin de faciliter la musique professionnelle d'ensemble et la fabrication des instruments.
3. Au moins jusqu'au 18e siècle, le diapason des instruments variait d'un endroit à l'autre, d'une époque à l'autre et d'un instrument à l'autre. Puis des tentatives de normalisation ont été effectuées, mais le choix des valeurs retenues a suscité des controverses, qui ne se sont pas éteintes avec la normalisation internationale de 1953.
4. Le choix d'un diapason plus haut ou plus bas peut affecter le rendu sonore et la performance vocale des chanteurs lorsqu'il s'agit d'interpréter des œuvres écrites dans le passé. L'essentiel est l'impact émotionnel et physique de la musique sur l'auditeur. Il résulte de paramètres complexes qui dépassent de loin la question du diapason.
Contenu de la quatrième partie
Contenu de la troisième partie
De notre enquête approfondie, il ressort que les motivations pour fixer un diapason sont de deux sortes.
La plus générale est le besoin d'avoir un diapason commun pour pratiquer aisément de la musique ensemble. La normalisation a répondu à cette nécessité pratique. En même temps que se généralisait la standardisation industrielle, cette normalisation s'est étendue sur le plan international.
En deuxième lieu, se pose le choix de la valeur de cette norme commune. En mettant à part les motivations pour une valeur précise dite scientifique que nous avons examinées dans la troisième partie, il y a des pressions qui invitent à hausser le diapason, et d'autres à l'abaisser.
La recherche d'une couleur sonore qui tire parti des instruments existants et des voix a entrainé le diapason vers le haut. Mais la voix des chanteurs et chanteuses en a souffert dans certaines œuvres, d'où leur opposition à cette montée.
Lorsqu'un compositeur écrit une œuvre, la tonalité et les notes écrites sont en relation avec les possibilités d'une part des instruments existants et d'autre part de la pratique vocale ajustée au diapason de l'époque et du lieu. Si plus tard un chef fait exécuter la même œuvre avec un diapason plus haut, cela demande aux chanteurs des performances plus grandes dans les aigus. Aussi avec les diapasons hauts du 19e siècle, il devenait plus difficile de jouer certaines pièces du 18e.
La difficulté vocale surgit non seulement dans les aigus extrêmes, mais dans le passage de registre. L'étendue d'une voix comporte trois registres, la voix de poitrine, la voix médium et la voix de tête. Pour passer de la voix médium à la voix de tête, il y un changement dans le positionnement des cordes vocales qui crée des difficultés aux chanteurs non entrainés. Si on monte le diapason, le son de ce passage correspond à une note plus basse. Par exemple, si le passage d'un chanteur est situé à une hauteur repérée par FA à un certain diapason, le fait de monter le diapason d'un demi-ton fait que le passage se retrouve au niveau du MI. Est-ce important? Des chanteurs professionnels expliquent que pour une œuvre donnée, cela modifie leur expression sonore.
Pourtant, au début de notre enquête (deuxième partie) nous avons appris que les chanteurs du passé interprétaient une œuvre à la hauteur qui convenait à la tessiture de leur voix, et l'instrumentiste les suivait en transposant. N'est-il plus possible de suivre cette pratique?
Non, car la relation à une œuvre musicale écrite sur une partition a changé. La partition fixe l'œuvre dans sa tonalité. Les musiciens exécutent ce qui est écrit et ne transposent pas. Ils respectent la volonté du compositeur. De plus, dans un orchestre, le nombre de musiciens peut être important et, transposer entrainerait beaucoup de remue-ménage. Transposer ne fait plus partie des coutumes des musiciens d'orchestre.
Questionnement sur le passage
Je reste interrogatif sur l'impact d'une hausse de diapason sur le passage de registre. Effectivement, cela se comprend si l'on hausse une mélodie d'un ton, ou même d'un demi-ton.
Mais certains chanteurs affirment que cet effet est sensible sur de tous petits intervalles, par exemple en passant de 440 à 432 Hz. Or descendre d'un ton, c'est passer de 440 à 392 (SOL) et descendre d'un demi-ton, c'est passer de 440 à 415 (LA♭). Passer de 440 à 432, c'est un intervalle de 1/6e de ton seulement. Le passage d'un chanteur est-il fixé de façon aussi précise? N'y a-t-il pas un léger recouvrement entre son registre médium et son registre de tête?
Je n'ai pas de réponse à cette question.
Par construction, les instruments ont des couleurs spécifiques qui varient selon leur registre. Par exemple, la couleur sonore d'une clarinette n'est pas la même dans ses graves ou dans ses aigus. Un compositeur aura donc envie de lui faire exprimer une certaine douceur ou un éclat sublime en choisissant la hauteur de la mélodie.
Si ce compositeur désire que sa mélodie soit interprétée à un ton plus bas, il a le choix entre deux procédés: abaisser le diapason ou transposer la mélodie.
Abaisser le diapason n'est possible que si l'instrument le permet par ajustement, sinon, il faut fabriquer un nouvel instrument avec un diapason spécifié.
Transposer semble donc un moyen plus simple. Mais on ne peut transposer que par sauts de demi-tons. Par exemple, le compositeur peut écrire sa musique en MI majeur au lieu de FA majeur. Par comparaison, le diapason peut être abaissé d'une toute petite quantité, inférieure au demi-ton, voire au quart de ton. Toutefois, changer de tonalité, c'est aussi changer les doigtés d'exécution sur l'instrument, jouer un MI au lieu d'un FA, par exemple. Ce n'est pas toujours facile, car certaines tonalités sont plus compliquées que d'autres.
En ce qui concerne les instruments électroniques par contre, le rendu sonore est dans une large mesure insensible à la hauteur choisie, car le spectre, contrôlé par synthèse électronique, reste le même.
La question se pose différemment lorsqu'il s'agit d'interpréter des œuvres du passé en respectant leur tonalité. Ainsi pour la musique baroque, les instruments anciens étaient conçus pour jouer dans certains diapasons, en lien avec la résonance de la matière dont ils sont constitués. Interpréter la musique baroque avec un diapason différent change leur timbre. Si le diapason est élevé, cela est parfois dommageable pour eux. C'est pourquoi actuellement les ensembles de musique baroque choisissent des diapasons de 392 à 415. Comme les diapasons étaient variables d'un lieu à l'autre, il s'agit de moyennes qu'on a retenues par convention. La musique de Mozart et de la fin du 18e siècle est généralement interprétée en 430, mais celle de Monteverdi en 440.
Questionnement sur le rendu sonore
Je reste également interrogatif sur la variation du rendu sonore d'un instrument ou d'un orchestre lorsque le décalage n'est que de 2 ou 8 Hz. À voir...
La progression historique vers la normalisation du diapason a répondu à des motivations économiques et commerciales importantes. Les facteurs d'instruments à sons fixes avaient et ont besoin de savoir à quel diapason fabriquer leurs instruments. Ils voulaient pouvoir les diffuser sur des territoires de plus en plus plus vastes.
Cette évolution a été concomitante de la marche vers l'industrialisation. Elle s'est inscrite dans un changement de mentalité qui associe un effacement des particularités locales au profit d'une uniformisation globale et un élargissement de la pensée pour embrasser la planète entière.
Dans le deuxième moitié du 18e siècle, les processus de production subirent de profondes transformations. Jusqu'alors, on fabriquait les produits un à un artisanalement. L'invention de machines ouvrit la possibilité de produire plus vite et en plus grande série. Cette transformation est nommée par certains historiens la révolution industrielle.
C'est dans cette période qu'apparaissent l'exploitation du charbon, la mise au point de la machine à vapeur par James Watt en 1769 en Angleterre, son application aux machines pour le textile et la sidérurgie, puis à la propulsion des bateaux. La mise au point de la locomotive par les frères Stephenson en 1815 entraine la construction de vastes réseaux de chemin de fer, dont les premières lignes apparaissent dans les années 1830. Cette évolution s'accentue à partir de 1880 avec l'apparition de nouvelles sources d'énergie, gaz, pétrole et électricité, de nouvelles machines (automobiles, outils), et le développement de la chimie et des plastiques.
Tout cela transforme profondément la mentalité des Anglais au milieu du 19e siècle, et ensuite des habitants des autres pays.
Les ateliers isolés sont remplacés par des usines, qui s'édifient près des sources de matières premières. Un réseau commercial et financier capitaliste international se développe. Produire plus pour plus de monde pousse les économistes à étudier l'organisation du travail de production. En 1911, Frederick Winslow Taylor prône une "organisation scientifique du travail". La conséquence logique est l'uniformisation des objets produits en grande série.
Cette tendance à l'uniformisation et à la rationalisation gagne les instruments de musique et la théorie musicale. Des modifications ont lieu sur les instruments à vent et les cuivres. L'intonation à tempérament égal se répand, dans laquelle les demi-tons sont tous égaux et interchangeables.
Les objets identiques produits en masse doivent pouvoir être utilisés dans différentes régions, différents pays, même éloignés. Cela implique que certaines caractéristiques de ces objets doivent être normalisées. Actuellement par exemple, les prises qui relient les ordinateurs à leurs accessoires sont normalisées selon les normes USB ou HDMI. Des comités sont constitués pour définir ces normes.
Les premières sociétés américaines de normalisation voient le jour à partir de 1912. Ce sont l’American Institute of Electrical Engineer (AIEE) et l’American Engineering Standards Committee (AESC). En France, l'Association française de normalisation (AFNOR) est créée en 1926.
Cette même année, les instituts de normalisation non gouvernementaux d'une quinzaine de pays se rassemblent au sein de l’International Standards Association (ISA) ou Fédération internationale des associations nationales de normalisation. C'est cette même association qui en 1939 normalise le diapason à 440 Hz.
En 1944, les alliés créent l'UNSCC, Comité de coordination de la normalisation des Nations Unies à Londres. L'UNSCC et l'ISA s'unissent et donnent naissance à l'Organisation internationale de normalisation (ISO) lors de la conférence des organisations nationales de normalisation à Londres en 1946.
Les unités de longueurs, qui variaient d'un pays à l'autre, d'une région à l'autre sont redéfinies et deviennent potentiellement les mêmes pour toute la planète. Les unités de temps, de masse et d'autres encore sont également redéfinies.
La définition du diapason - à titre d'exemple un LA à 440 Hz - comprend deux éléments. D'une part le nombre: 440. Nous avons discuté de sa valeur tout au long de cet article.
D'autre part: l'unité de fréquence, le hertz. Il est rare qu'on attire l'attention sur la nature relativement arbitraire de cette unité.
Car dans la Nature et dans la Création cosmique, il est, à ma connaissance, impossible de rencontrer des mesures absolues. Toutes les grandeurs se rapportent à une autre. Tout est fait de rapports et de proportions entre les multiples éléments de la création.
Pour comprendre cette nécessité de relations entre grandeurs, imaginons l'espace cosmique complètement vide. Nous y déposons une balle, et nous lui donnons une impulsion de rotation. Comment pouvons-nous affirmer qu'elle est en mouvement ou au repos?
Il est probable que vous avez l'image de cette balle en rotation. C'est parce que j'ai orienté subtilement votre esprit vers un repère dans cet espace. Ce repère, c'est vous-même. Par rapport à votre conscience ou votre main placées dans cet espace, oui, il y a effectivement le mouvement de rotation que vous avez impulsé.
Mais si on enlève tout repère, si aucun objet, aucune conscience, autre que la balle n'est présent, si la balle est vraiment seule, il est impossible de définir sa position et l'évolution de cette position dans le temps.
Dans l'espace, on ne peut définir des positions et des mouvements que relativement à un repère.
Il en est de même pour la définition des longueurs et des distances. Elles ne peuvent être définies que par rapport à une autre longueur.
Prenons un bâton. Sa longueur est définie par la distance entre ses deux extrémités. Si je dis que le bâton a une longueur de 80 cm, je dois définir ce qu'est un centimètre. En réalité, je compare la longueur du bâton à une unité arbitraire que je nomme le centimètre, elle-même centième partie du mètre.
Le mètre a été défini comme la longueur d'un objet en platine déposé en 1799 dans les archives de la république française, le mètre-étalon. Il a été choisi par l'Académie des Sciences en 1791 comme égal à la dix millionième partie du quart du méridien terrestre. Encore fallait-il préciser quel méridien, étant donné que la Terre n'est pas une sphère parfaite et que sa surface est irrégulière. Il s'agit donc bien d'un choix arbitraire.
Avec l'évolution technologique et les nouvelles connaissances sur la matière, la définition du mètre change en 1960. Il est redéfini comme étant égal à 1 650 763,73 fois la longueur d'onde, dans le vide, d'une radiation orangée de l'atome de krypton 86. Puis en 1983, la définition du mètre est devenue la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière en 1/299 792 458e de seconde. On constate que la référence est choisie arbitrairement par un groupe de scientifiques qui l'estiment la plus apte à l'utilisation du mètre dans le domaine pratique et technique de haute précision.
De plus, il faut noter que cette définition repose sur la conviction que la vitesse de la lumière est constante. C'est le postulat de la théorie de la relativité, issue de l'interprétation de l'expérience de Michelson et Morley par les physiciens. Or j'ai relaté ailleurs (voir article L'éther et l'énergie de l'espace) que l'expérience de Michelson et Morley pouvait recevoir d'autres interprétations et que certains modèles admettent la possibilité d'une variation de la vitesse de la lumière (par exemple, voir article Le champ d'énergie de l'espace semi-classique). Cette nouvelle définition du mètre est donc également un choix arbitraire.
Si nous choisissons une autre unité de longueur que le mètre, par exemple le pied, la longueur du bâton aura une autre valeur: les 80 cm deviennent 2,62 pieds. Les nombres diffèrent complètement. Ils ne sont pas absolus, ils indiquent des rapports à une unité arbitraire.
Même lorsque nous choisissons le pied, il faut préciser de quel pied nous parlons. Car la définition du pied a varié et varie selon les époques et les lieux. Il en est de même des autres unités de mesure, surface, volume, poids, etc. En 1795, il existait en France plus de 700 unités de mesure différentes, issues souvent de la morphologie humaine: [le pouce,] le doigt, la palme, la coudée, le pas, la toise, la brasse (étendue des bras). Ces unités variaient d'une ville à l'autre, d'une corporation à l'autre, mais aussi selon la nature de l'objet mesuré. Ainsi, par exemple, la superficie des planchers s'exprimait en pieds carrés et celle des tapis en aunes carrées. Les mesures de volume et celles de longueur n'avaient aucun lien entre elles. Pour chaque unité de mesure les multiples et sous-multiples s'échelonnaient de façon aléatoire, ce qui rendait tout calcul extrêmement laborieux. (d'après Histoire de la mesure, Métrologie Française)
Les investigateurs qui tentent de retrouver la valeur du diapason d'un orgue à partir des dimensions des tuyaux rapportées en pieds dans un ouvrage ancien doivent tenir compte de ces variations. Le pied était différent d'un endroit à un autre: en Allemagne, on avait le pied de Nuremberg de 303,9 mm, celui de Vienne (317,6), de Berlin (313,85), de Dresde (283,1 mm). En France la valeur du pied était moins dispersée car fixée par le roi (pied du roy, 324,8 mm).
Il est donc frappant que la valeur numérique d'une longueur est étroitement liée à l'unité que se donne une communauté. Par contre si j'ai deux bâtons, le rapport de leurs longueurs est immuable, quelle que soit l'unité de mesure. Si l'un est de 80 cm, et l'autre de 40 cm, le rapport des longueurs sera toujours 2, qu'elles soient exprimées en cm, en pieds ou en pouces.
Bien plus, pour déterminer ce rapport, il est inutile de passer par la mesure en cm, il suffit de poser le bâton le plus court sur l'autre et de le reporter sur sa longueur totale: deux fois dans ce cas. C'est le bâton le plus court qui devient l'unité de longueur. Cela montre qu'un rapport se situe sur un niveau plus abstrait, plus conceptuel qu'une mesure qui doit passer par un étalon matériel.
Le même type de considérations s'applique à la mesure du temps.
Comment mesurer le temps qui passe? Contrairement aux longueurs, nous ne pouvons pas le comparer à un objet étalon, mais à la durée du mouvement d'un objet en mouvement cyclique, choisi comme repère.
C'est ainsi que la durée d'un jour est définie par le mouvement de rotation de la Terre repéré par rapport au soleil. L'heure en dérive comme en étant la 24e partie. La seconde est définie comme 1/3600e d'heure, soit 1/86400e de jour solaire. Tout semble parfaitement clair et bien défini en apparence.
Or le mouvement de la Terre par rapport au soleil n'est pas absolu. Sa durée peut recevoir deux définitions. En effet, pour définir le temps de rotation de la Terre sur elle-même, comment peut-on repérer que la Terre a effectué précisément une rotation complète? Si vous jouez à la roulette et que vous la faites tourner, vous saurez qu'elle a effectué un tour complet lorsque un signe particulier de la roulette repasse devant un repère fixe. Nous constatons donc la nécessité d'un tel repère.
Or dans l'espace, il n'y pas de repères fixes, tout bouge sans cesse, lentement ou rapidement. Le soleil se déplace vers l'étoile Véga, il tourne avec la galaxie, et il oscille autour du plan moyen de cette galaxie (voir article Spirale, mouvement primordial de vie). C'est pourquoi, selon le repère choisi, on a deux définitions de la durée de rotation de la Terre. Si on repère un tour complet lorsqu'on se retrouve face au soleil, c'est la rotation appelée synodique. Si on le repère par rapport à des étoiles, c'est la rotation sidérale.
L'heure est précisément définie comme 1/24e de la durée de la rotation synodique. Celle-ci vaut donc, par définition, 24 h. La période de rotation sidérale de la Terre est de 23 h 56 min 4 s. La définition de la seconde semble donc réglée, à ceci près que la rotation synodique de la Terre n'est pas une constante.
La Terre subit des ralentissements et des accélérations de façon irrégulière. Son mouvement est complexe. À sa rotation propre s'ajoutent le mouvement de précession (mouvement conique décrit par l'axe autour de sa position moyenne sur une période de 26000 ans) et le mouvement de nutation (oscillation de l'axe sur une période de 18,6 ans). La rotation elle-même subit des changements décennaux (entre 10 et 70 ans) de l'ordre de cinq millisecondes. C'est pourquoi un ajustement est régulièrement nécessaire. Il est effectué en ajoutant ou retranchant une seconde intercalaire.
On a donc abandonné la définition de la seconde par rapport à la rotation de la Terre. En 1956 elle a été redéfinie comme 1/31 556 925,9747e de la période orbitale de la Terre de 1900. Puis on a abandonné la référence à la Terre. En 1967, le Comité International des Poids et Mesures l'a définie par référence au temps atomique de l'atome de césium 133. La seconde est l'intervalle de temps qui comprend 9 192 631 770 oscillations entre deux états énergétiques particuliers du césium.
On constate à nouveau que l'unité de temps, la seconde, est une unité définie arbitrairement par une communauté pour des raisons pratiques et technologiques.
La définition du hertz dérive directement de celle de la seconde, puisque c'est un cycle par seconde. Il est donc lui-aussi attaché au caractère fluctuant de la matière cosmique. La valeur numérique d'une fréquence est dépendante du choix de cette unité.
Ces fluctuations paraissent tellement minuscules qu'elles n'ont aucune incidence décelable pour la pratique musicale. Cependant mon propos est d'ordre philosophique, c'est-à-dire nous aspirons à mieux comprendre la nature des choses et comment elles sont reliées entre elles et à nous.
Si nous avons conscience que la seconde n'est pas une donnée absolue de l'univers, mais une définition que nous avons élaborée par notre pensée en la reliant au césium, donc à la matière, alors nous pouvons en saisir le caractère relatif et impermanent. La structure du césium n'a rien d'éternel. J'ai montré dans l'article Le champ d'énergie de l'espace semi-classique que les niveaux d'énergie atomiques sont la conséquence directe de la densité d'énergie du vide spatial, qu'ils peuvent changer si cette densité est modifiée pour une raison cosmique, et par conséquent également la fréquence de transition d'un niveau à l'autre.
Bien que la matière bouge et fluctue, elle est sous-tendue par des schémas géométriques précis inscrits à des niveaux plus abstraits. C'est ce que j'ai montré dans mon article Aspects géométriques et sonores des créations de l'univers.
De la même façon qu'une maison est la manifestation matérielle et imprécise d'un plan précis conçu par un architecte, de même la manifestation cosmique et terrestre est l'expression approximative d'un programme géométrique abstrait vivant. Ces géométries sont complexes et incluent essentiellement des polyèdres, des spirales et des fractales.
Or toutes ces géométries sont définies par des rapports et non par des mesures absolues. Un cube reste un cube, que ses côtés mesurent 1 mm ou une année-lumière. Il est défini par ses 6 faces carrées égales, donc par les rapports d'égalité entre ses côtés, entre ses faces, entre ses angles.
La création repose fondamentalement sur des rapports. Cela était bien connu jusqu'à la Renaissance, et on faisait alors des analogies entre les créations à notre échelle (le microcosme) et les créations cosmiques (le macrocosme). À ce sujet, on cite volontiers la maxime du texte alchimique la Table d’émeraude attribuée à Hermès-Trismégiste: Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
Par contraste, le 17e siècle a inauguré l'ère de la classification, de la codification, et de la mesure. L'histoire du diapason s'inscrit dans ce besoin de codifier.
Plaçons-nous maintenant du point de vue des auditeurs de musique et demandons-nous quel effet la musique produit sur notre âme et sur notre corps. Au-delà des compositeurs et des interprètes, c'est bien évidemment l'essentiel. La hauteur du diapason a-t-elle une influence sur la qualité de l'audition et sur le plaisir de l'auditeur?
Il y a des musiques qui font du bien, revigorantes, dynamisantes, joyeuses, apaisantes, relaxantes, etc. et il y a des musiques qui induisent des émotions d'angoisse ou de rage, d'autres qui assomment le système nerveux et déstructurent la personnalité.
Quels sont les éléments de la musique qui concourent à procurer ces états? Est-ce le fait de fixer un diapason plus ou moins haut?
Si c'était le cas, cela mettrait de côté toutes les musiques qui ignorent un diapason, toutes les musiques antérieures au 18e siècle, toutes les musiques traditionnelles.
Les paramètres qui concourent à procurer un sentiment spécifique sont nombreux. Ce sont: les rythmes, la couleur des instruments et des voix (timbre), le volume sonore, le style de mélodie, son mode et sa tonalité, le choix des harmonies entre voix polyphoniques.
L'ambiance sonore est bien différente selon que la musique est moyenâgeuse, baroque, classique, romantique, contemporaine, dodécaphonique, concrète, africaine, chinoise, rock, jazz, techno, comédies musicales, etc. et ceci quel que soit le diapason. (voir article Évolution de la musique du Moyen-Âge à nos jours)
Lorsqu'une musique vous semble assommante, pensez-vous qu'il suffit de faire varier le diapason un peu plus haut ou un peu plus bas pour qu'elle se trouve miraculeusement harmonisante?
Un élément important à prendre en compte dans le sentiment procuré est le système d'intonation. La mélodie n'est pas seulement élaborée dans un mode et une tonalité, mais dans un système d'intonation qui fixe la grandeur des intervalles entre notes.
Par exemple, choisir la fréquence d'un DO ne suffit pas à fixer la fréquence des autres notes de la gamme. Même si l'on sait qu'il y a un intervalle de tierce entre DO et MI, cette tierce peut être plus ou moins grande selon qu'on choisit le système à tempérament égal à octaves justes, le système à tempérament égal à quintes justes, le système à tempérament inégal, le système de Zarlino ou celui de Pythagore. Actuellement, il est devenu automatique que le système employé est la gamme tempérée, de sorte qu'on ignore généralement qu'elle est une convention récente et une commodité qui n'est nullement une nécessité. À l'opposé, on ignore généralement le système à tempérament égal à quintes justes de Serge Cordier qui, selon les témoignages, procure une sensation plus rayonnante. (voir article Ton, tempéraments et intonation juste)
La valeur des intervalles et les rapports entre les notes sont pourtant un aspect essentiel pour un musicien, car l'oreille est sensible à la grandeur des intervalles avec une grande précision. Elle peut atteindre, pour l'oreille entrainée, le centième de ton.
Cette sensibilité aux rapports entre les notes nous ramène à notre observation que les rapports entre les éléments sont l'essence de la création, et non la valeur absolue d'un élément isolé.
Les sons ont un impact sur et dans notre corps physique. Dans mon article Résonances des sons dans le corps, je montre qu'ils résonnent dans différents endroits du corps, et que ces résonances dépendent de la hauteur des sons, c'est-à-dire des fréquences sonores émises (voir article SON: hauteur et fréquence). Elles dépendent également du timbre, qui résulte lui-aussi de la richesse en fréquences (voir article Couleurs sonores: timbres et harmoniques).
Or une musique vocale et instrumentale produit une multitude de fréquences qui résonnent dans toutes les parties du corps. Si l'on pense qu'une seule note contient en elle-même tout un ensemble d'harmoniques, alors imaginez l'abondance de fréquences de toutes hauteurs lorsque plusieurs notes se succèdent au long de la mélodie et qu'elles se superposent, produites simultanément par plusieurs musiciens.
Les considérations mathématiques sur la grandeur des intervalles ne doivent pas nous faire oublier que cela ne concerne que les instruments à sons fixes. Pour les violons, par exemple, et surtout pour la voix, les intervalles sont éminemment plastiques. Au lieu d'obéir à la règle mathématique, ils se rétrécissent et s'étirent en fonction du sentiment exprimé.
Voici ce que j'ai écrit à ce sujet dans l'article Ton, tempéraments et intonation juste: "Lorsque l'artiste chante, il emploie souvent d'instinct une justesse expressive, différente de la justesse naturelle (celle des gammes naturelle ou de Pythagore) et de la justesse tempérée (gamme tempérée). La justesse expressive accentue le caractère attractif, appellatif (ou résolutif) de la note naturelle afin de lui donner une valeur caractéristique bien déterminée, mais variable selon les cas (E. Willems). Ainsi de SI à DO, le demi-ton se réduit parfois à un quart de ton dans certains contextes expressifs, soit parce que le SI est attiré par le DO en DO majeur, soit parce que le DO est attiré par le SI, en LA mineur."
Cette justesse expressive est donc guidée par le sentiment et l'intention. En fait, dans toute musique, une part importante du rendu sonore et de son effet sur l'auditeur est dû aux pensées et aux émotions du compositeur, des interprètes et des ingénieurs du son. Quelle intention mettent-ils dans le morceau de musique? Sont-ils portés par un texte, une passion, une ferveur, peut-être des incantations, une foi?
Cela m'a fait penser à la musique des groupes soufis, africains ou amérindiens qui est capable de créer des états de transe chez les danseurs. Je me suis demandé ce qui faisait la puissance de ces musiques. J'ai interrogé un spécialiste de la musique arabe, M. Abdou Ouardi, joueur de oud international réputé.
Il me répondit que la transe soufie était très réelle. Les musiciens ne se préoccupent pas de diapason pour induire une telle transe. Ce sont d'autres caractéristiques de la musique et des musiciens qui entrent en jeu, et principalement le rythme. La musique est généralement produite par des instruments de percussions (tambours, bendir..) et pas d'instruments à cordes. Dans un autre genre, au Maroc, on emploie le hautbois marocain (la gaïta) associé à des percussions. On assiste à des phénomènes époustouflants. La transe est si puissante que le corps est mis dans des états physiologiques non ordinaires. Certains Gnawa peuvent avaler de l'eau bouillante, se transpercer le ventre avec des couteaux ou se frapper la tête avec un sabre sans dommages.
J'ajoute toutefois que ce sont là des traditions archaïques qu'il n'est pas nécessaire d'adopter pour arriver à des guérisons. Il existe d'autres moyens pour créer des états modifiés de conscience, porteurs d'amour et de respect pour notre temple corporel. Certains de ces moyens emploient des géométries et des sons sacrés (voir mes articles Spiritualité et Développement personnel et Les codes géométriques et sonores de l'être humain). J'ai cité ce phénomène de transe dans le seul but d'alimenter notre réflexion sur les effets puissants de la musique et sur les paramètres qui y concourent.
La musique est vivante. Elle transmet des énergies complexes qui dépendent de paramètres dépassant de loin la seule valeur du diapason.
Texte conforme à la nouvelle orthographe française (1990)
8 aout 2016